Super centrales d’achat européennes : ce que dit la réglementation

Le 10/11/2025 à 8:39
Philippe Jouvet, avocat spécialisé en distribution alimentaire (Cabinet LMT avocats)

De plus en plus d’industriels, grands et petits, se plaignent du développement des centrales d’achat au niveau européen, qui contournent les lois Egalim dans les négociations commerciales. La réglementation impose pourtant que les produits destinés au marché français soient soumis au cadre réglementaire national.

Environ 20 % en valeur et jusqu’à 50 % en volume des produits commercialisés par la grande distribution seraient négociés en dehors de France. Le développement des alliances à l’achat (Everest, Eurelec, Eureca) ou de services commerciaux (Coopernic…) situées dans d’autres États européens posent la question légitime du détournement des lois Egalim.

L’affirmation du caractère d’ordre public des lois Egalim

La centrale Eurelec (Leclerc/Rewe) située en Belgique a fait l’objet d’une saga judiciaire depuis 2021 devant les juridictions commerciales, administratives, et européenne. En premier lieu, c’est la compétence des tribunaux français pour examiner l’action du ministre de l’Économie pour assigner les sociétés belges devant le Tribunal de commerce de France, qui était d’abord contestée par Eurelec. Après la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 décembre 2022 considérée hâtivement comme donnant raison à Eurelec, la Cour d’appel de Paris (21 février 2024) a pu confirmer que le ministre pouvait attraire en France et sur le fondement du droit français les centrales internationales pour des pratiques de concurrence restrictives ou abusives commises sur le territoire français. En parallèle, la Cour administrative d’appel a confirmé (Arrêt Eurelec du 13 décembre 2024) que l’article L.441-3 du Code de commerce imposant la formalisation de la négociation commerciale dans une convention écrite était une loi de police applicable dès lors que les produits achetés sont destinés au marché français, même si la convention écrite sous-jacente conclue entre les parties est soumise à un droit étranger, et ce quelle que soit la nationalité des parties. Le sujet était déjà clarifié par la loi Descrozailles « Egalim 3» de mars 2023 qui insère dans le Code de commerce l’article L. 444-1 A qui indique que les dispositions protectrices des lois Egalim s’appliquent « à toute convention entre un fournisseur
et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français. Ces dispositions sont d’ordre public (…) » Cependant, malgré l’évolution judiciaire et législative précitées,
et en l’absence d’une intervention active de la DGCRFF, les pratiques des centrales européennes se perpétuent et déséquilibrent durablement les négociations annuelles entre fournisseurs et distributeurs.

L’embryon d’un Egalim européen ?

Le sujet d’un Egalim européen est porté activement à la fois au niveau national et européen. En novembre 2024, les députés français ont voté une proposition de résolution européenne visant à mettre en place un cadre européen sur les relations contractuelles des centrales d’achats de la grande distribution avec les producteurs. Le 15 juillet dernier, la commission agriculture du Parlement européen a adopté le rapport pour une proposition de règlement relatif à la coopération entre les autorités chargées de faire appliquer la directive sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Deux positions émergent dans la discussion de ce texte : d’une part, ceux (représentant les agriculteurs et les industriels notamment) qui souhaitent voir prévaloir les règles internes qui sanctuarisent les revenus. Les centrales européennes évoquent, quant à elles, la nécessité de respecter la liberté de circulation des marchandises, pilier du marché unique européen. Le débat au Parlement européen continue pour ce qui sera un des fondements d’un futur Egalim européen.

Par Philippe Jouvet, avocat spécialisé en distribution alimentaire (Cabinet LMT avocats)

 

2 POINTS CLEFS À RETENIR
1 - Egalim doivent s’appliquer lorsque les produits sont commercialisés en France, même si la négociation des achats et des conditions a lieu dans un autre État européen ;
2 - L’application du droit par les juges et les autorités supposent aussi un renforcement de la coopération transnationale, objet d’une intense discussion au Parlement européen.

 

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