Le Conseil constitutionnel a censuré partiellement, le 7 août, la loi Duplomb. Mais ce n’est pas au titre du principe de précaution que les sages ont pris cette décision. Décryptage.
La décision prise le 7 août par le Conseil constitutionnel relative à la loi Duplomb déclare notamment contraire à la Charte de l’environnement les dispositions permettant une nouvelle dérogation à l’interdiction d’utilisation de produits phytosanitaires contenant des substances néonicotinoïdes.
Application du principe de précaution ?
L’article 5 de la Charte de l’environnement enjoint les pouvoirs publics à appliquer le principe de précaution lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement.
Ce n’est cependant pas sur le fondement de l’article 5 mais sur celui de l’article 1 de la Charte que le Conseil a censuré les dispositions contestées de la loi Duplomb.
En l’espèce, le Conseil a considéré les risques et les dommages potentiels de la réutilisation de l’acétamipride, non suffisamment encadrés par le législateur, comme avérés : « les produits en cause ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux, ainsi que des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine ».
Juridiquement les mots « incidences » et « induisent » utilisés par le juge suprême et l’absence du mode conditionnel ont un sens fort puisque le juge tranche – sans aucun développement – le débat sur l’existence de dommages certains pour la biodiversité et la santé humaine alors que les substances interdites dont il est question sont autorisées par ailleurs dans l’Union Européenne.
La conséquence qui découle pour le Conseil constitutionnel est que la loi « a privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement ».
Les conditions d’autorisation à titre dérogatoire des substances néonicotinoïdes prévues par la loi étaient donc trop imprécises et insuffisantes pour compenser les risques constatés : elles visaient toutes les filières et non celles qui sont particulièrement nécessiteuses de solutions de court terme que seule offre l’acétamipride (betteraves sucrières, noisettes…) ; elles n’étaient pas strictement limitées dans le temps ; elles ne distinguaient pas les types de traitement (foliaire ou enrobés) alors que la pulvérisation augmenterait les risques environnementaux.
Le législateur peut donc corriger sa copie pour revoir ces conditions, ce qu’a immédiatement annoncé d’ailleurs le sénateur Duplomb après la décision. Si les garanties sont apportées, le Conseil constitutionnel censura-t-il encore le législateur sur la même lecture de la Charte de l’environnement ?
Progression du principe de non-régression
Le principe de non-régression en matière environnementale mentionné à l’article L.110 du Code de l’environnement, selon lequel la protection de l’environnement, ne peut faire l’objet, dans les textes législatifs et réglementaires, que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est certes pas reconnu à cette occasion comme ayant une valeur constitutionnelle. La décision commande cependant au législateur de le prendre en compte « S’il est loisible au législateur […] de modifier des antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement (…) ».
Par Philippe Jouvet, avocat spécialisé en distribution alimentaire (Cabinet LMT avocats)
1 - Ce n'est pas au titre du principe de précaution que les dispositions de la loi concernant l’utilisation des néonicotinoïdes sont censurées.
2 - Elles seraient contraires au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement.
3 - Le Conseil constitutionnel évoque le principe de nonrégression sans lui donner une valeur constitutionnelle.